Monday, April 24, 2017

Californie (5) : Barstow


Un dernier motel



Ils sont tous semblables les uns aux autres, 
mais celui-là aura eu pour nous une saveur unique.



Ce n'est plus seulement la TV en couleur, mais aussi le Wifi : 
décidément, un pas vers la civilisation.



Ces vieux panneaux si 66...



Denise, tu as conscience que c'est la fin de ton périple ? 



L'Amérique, toujours aussi fière d'elle-même.



La 66, toujours aussi clinquante de souvenirs idiots.



Heureusement, quelques vraies traces du passé demeurent.



La dernière demeure d'une voiture qui a dû rêver encore bien plus que la nôtre.



Les vieilles pompes à essence.



Voitures anciennes



Ah, enfin les clichés sur la Californie !



Si quelqu'un écrivait une BD sur la route 66, 
l'un des personnages ressemblerait à cela.



Sur un vieux camion,on invite les militaires.



Munitions pour vos duels de cow-boys



Bartow, ce sont de vraies lumières dans le désert;
 les localités sont de plus en plus des villes, 
et l'on sent comme une rumeur de Los Angeles dans l'air.



Les bonnes vieilles Texaco 
comme dans tous les clichés sur l'Amérique des années 60.



Get your kicks for ever and ever



Elles sont encore là pour observer le passage du temps.



... ou attendre souvent en vain le passage du vent ?

Monday, April 10, 2017

Californie (66-39) : Nulle part en Californie



     Sur le bord de la route, les joshua trees nous saluent. Un panneau indique que leur parc national, leur cour de récréation, la partie du désert où ils se retrouvent tous, est à quelques kilomètres de là. Ces arbres secs font penser à un croisement entre le pommier et le cactus, leurs branches ont des pompons secs et touffus, véritables pom-pom girls des étendues de sable prêts à acclamer les voitures par leur silence.

     A vrai dire, Joshua tree est un lieu un peu mythique, et abrite une ville alternative construite de bric, de broc, de taule, de planches et parfois de béton sous des peintures variées. Les habitants semblent une sorte de hippies du désert, cousins dans la sécheresse des hippies plus humides, et, disons-le, plus bobo, de San Francisco. A Joshua tree, les friperies remplacent les boutiques de vêtements, les restaurants sont bio ou vegan, et quelques praticiens de médecines « énergétiques » vous proposent les services de l'univers pour soigner vos maladies naturelles ou surnaturelles, un peu comme dans les pays du vaudou africain. Il arrive que les musiciens fassent chanter les grains de sable en improvisant des concerts collectifs sous ces arbres mystérieux. On dit même que Led Zep' et d'autres groupes non moins fameux de leur époque se réfugient quelquefois, incognito, dans le saloon de la ville. Mais chut, gardez le secret, s'il vous plaît.

     Le long de la route, les voyageurs, les passants du désert ont laissé leur nom sur le talus. Pour faire de même, il suffit de ramasser quelques pierres et d'écrire votre nom pour qu'il rappelle votre passage aux road trippers du futur, tant que le sable ne les aura pas engloutis de nouveau dans son ventre chaud. Graver le souvenir de vos voyages sur la poitrine du désert a toutefois un coût : il faudra affronter la chaleur du désert de Mojave et les chatouilles des serpents qui habitent par ici. Ce sont peut-être les raisons pour lesquelles j'ai préféré que nous laissions nos souvenirs sur un blog. Les noms placés les uns à la suite des autres n'en dessinent pas moins une fresque de plusieurs kilomètres de long, qui donnent un avant-goût d'autres lettres, moins naturelles et moins personnelles mais pas moins plaisantes à apercevoir, au sommet d'une colline dans une ville à l'autre bout de l’État.




     Par endroits, nous croisons des paysages sortis tous droits d'une apocalypse, comme un écho dans le paysage aux fins du monde météorologiques du Texas. Bagdad, Siberia : les déserts ont des noms qui rappellent ceux de leurs cousins d'autres continents, et l'antiphrase sibérienne exprime bien la chaleur que nous traversons. Dans cette chaleur au milieu du sable, quelques plaques de béton éventrées rappellent encore la forme de murs, presque d'une maison, ou en tout cas d'une cabine qu'on aurait habitée. Les tags des voyageurs la recouvrent et lui rendent des couleurs, anarchiques. Les pierres et les éclats de verre disposés en formes significatives semblent les derniers totems d'une civilisation disparue, peut-être la nôtre dans les pires dystopies de pollution et de gaspillage que l'on écrit depuis les années 90. Les tourbillons de l'air chaud jouent avec les sons métalliques d’un panneau quelque peu disloqué.

     «  Rien », « aridité », « au milieu de nulle part », « immensité », « végétation sèche » sont les expressions que j'ai eu le plus de mal à remplacer en rédigeant ces pensées, tant elles revenaient dans le paysage. Pourtant, dans ces étendues désolées, ce nihilisme fait nature, dans ce néant ornementé de poussière et de chaleur, nous sommes plus que jamais dans un monde parallèle, fait de liberté – comme une cinquième dimension qui viendrait après le temps et l'espace, et qui nous fait sentir encore plus nous-mêmes que nous-mêmes. Dans un rêve, nous aurions volé, mais il s'agissait bien de réalité et nous n'en avions même pas besoin. Le passé et le futur étaient à nos pieds sur la route, sans parler du présent, qui nous avait prêté son âme, et à qui nous ne l'avons jamais vraiment rendue, grâce à la jeunesse éternelle de la Californie, et de ces souvenirs qui l'emprisonnent : le vent caressait notre pare-brise décapoté...

     La lumière très agréable des fins d'après-midi, cette blondeur claire, ces reflets sur les montagnes lointaines et les coteaux de sable, nous faisait oublier que le désert était désert, sauf quand le compteur d'essence devenait proche de zéro. Alors, comme un « il est temps » suggéré par le tableau de bord plein de ses aiguilles, nous respectons la parole de l'Animal, le seul vrai animal machine qui soit au monde et le meilleur ami de l'homme après le chien : notre voiture. Elle nous suggère le Ludlow café, un de ces cafés avec un gigantesque toit triangulaire juste à côté d'une station-service, comme on pouvait en trouver au fond de l'Australie des années 50 où s'arrêtent les routiers, à Alice Springs ou ailleurs. Une serveuse solitaire et silencieuse nous apporte des chocolats chauds, comme s'il pouvait y avoir quelque chose de froid dans le désert.

     Dans les environs, un peu plus loin sur la Route, se trouve un autre café célèbre, que le cinéma a contribué à vous faire connaître. Le Bagdad café a gardé toutes les caractéristiques du film, tout en montant un peu les prix pour les touristes. Il a toujours la caravane métallique du hippy de cinquante ans aux vêtements d'Indien tombé amoureux d'une Bavaroise robuste, et le Bagdad motel, juste à côté, est à vendre si vous souhaitez rester plus d'une journée, ce que, je pense, ne fait pas grand monde. Je soupçonne le lieu d'être un repaire de Français, pourtant il n'est qu'un décor de cinéma : le vrai Bagdad café, qui inspira le film, est un lieu délabré, vraiment oublié des hommes, dans le désert de Bagdad que nous traversions un peu plus haut.




     Pour le soir, Barstow, un de ces villages perdus que le freeway a fait soudainement renaître par des motels, des fast-foods et des marchands de voiture, nous ouvre ses bras. Ceux-ci sont très confortables, notamment parce que nous découvrons une chaîne de restauration américaine fondée sur les tartes, ou plutôt les pies, et qui ne m'a jamais déçu depuis, j'ai nommé Coco's. Endroit merveilleux pour un dessert après un bon Denny's.

   Au « Route 66 motel », nous rencontrons un couple de Français, à peine sortis de leurs combinaisons de motards. Ces amoureux de la route nous racontent leur histoire d'amour comme nous parlons de la nôtre. Ils évoquent d'autres rencontres, comme celle des communautés hippies de Madrid, pas loin de Sante Fe au Nouveau Mexique, qui sont bien partis pour faire durer les années 70 jusqu'en 2060. Ailleurs, c'est un hôtel luxueux qui les a reçus sur une ère d'autoroute pour une bouchée de pain, sorte de palais des rêves inconnu des civilisations et pourtant en plein continent américain. Un autre village dont j'ai oublié le nom, en Arizona, était rempli de fous, réunis en une sorte de secte syncrétique sans règles, où les médecines alternatives se pratiquent et les prêtres des énergies se rencontrent. Peut-être des cousins éloignés de Joshua Tree ?

      Malgré le charme de leur voyage et les yeux éblouis par les grands parcs où ils ont fait un détour, leurs vingt jours de moto semblent avoir été moins confortables que nos jours de décapotable : la location des deux motos coûtait plus cher que l'achat de notre voiture, et le moteur leur chauffait les jambes dans le désert, là où nous goûtions la saveur du vent aux différents endroits du paysage. Ces Français très sympathiques sont pourtant un signe que s'estompe la couleur locale des rencontres fortuites, celles du Missouri ou du Nouveau Mexique, et que nous approchons d'une civilisation des vacances, qui, contrairement à nos certitudes les plus profondes et les mieux ancrées, n'avait pas cessé d'exister pendant notre voyage.

     C'est la fin d'un périple : demain, dernier jour. Dernier jour ! Je n'ai pas envie de dire déjà, car nous pensons avoir passé deux cents ans sur la route et traversé cinq continents tantôt habités et tantôt déserts. Mais quelle émotion ! C'est un retour à LA ! Ma ville ! Une familiarité pourtant exotique, un havre de paix pour écrire et se souvenir dans le calme et le hip-hop west coast, après l'éblouissement de tant de beautés attendues ou fortuites. Santa Monica ! L'océan ! ...




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