Sunday, March 19, 2017

Californie (66-38) : Poprocks and coke



     Sun of a beach ! C'est comme ça qu'on dit en Californie ? Dès le passage du pont, le pays du bonheur, de la musique et du beau temps a les bras grands ouverts. Green Day s'éclate dans les haut-parleurs avec Poprocks and coke, icônes de la civilisation du Pacifique américain. Ici, c'est encore le désert, bien sûr, mais il y a déjà quelque chose dans l'air, à moins que ce ne soit l'effet produit par ce nom magique sur le panneau. D'ailleurs, la Californie est magique en ceci que son désert du Mojave est parfois authentiquement habité. Au Missouri, nous trouvions des maisons cachées derrière les vallons, les collines ; au Nouveau Mexique ou en Arizona, quelques villages d'Indiens, ou un trading post appuyé contre un rocher immense. En Californie, on trouve carrément des villes, et Needles, avec ses tout de même près de 5000 habitants, est l'une d'elles.

     Les gens semblent mener une vie paisible, et presque normale dans ce pays du désert habité. Comme un certain nombre de villes et villages depuis le Nouveau Mexique, Needles est née du chemin de fer. A ce point stratégique de passage entre deux États, la compagnie du Santa Fe railroad avait commencé par construire un hôtel où ses employés pourraient dormir. Comme c'était souvent le cas dans ces bonnes vieilles années 1890 (vous vous souvenez ? ), la ville grandit assez vite, surtout une fois que les quelques saloons et blanchisseries chinoises étaient sorties de terre. La ville garde quelques souvenirs de ce temps glorieux où le chemin de fer était l'avenir, où la voiture était encore inconnue et où tous les road trips se faisaient à pied, en diligence ou derrière une locomotive à charbon : ce sont quelques fresques sur les murs des stations-services ou des cafés, avec un Snoopy mélancolique sous un chapeau de cow-boy.

     La plupart des foyers de peuplement du désert californien n'ont pourtant pas l'ampleur de Needles, et ne sont souvent qu'un regroupement de maisons de fortune, c'est-à-dire bâties en taule, en bois et en métal, comme un bidonville du désert d'où la misère, mais non la bohème ! est pourtant absente. Celles-ci se tiennent la main autour d'un puits et de son oasis, car on en trouve aussi, ou, mieux, sur les pourtours d'une station-service, puits d'une autre nature, non moins nécessaire à la survie dans le désert. L'impression n'est pourtant pas celle de l'isolement et du passé, mais d'une éternelle jeunesse et d'un désert habité. C'est comme si la fontaine de jouvence de Los Angeles et de San Francisco, où l'on met encore des pulls capuche à 40 ans en reprenant ses études, coulait jusque ici, ou communiquait avec les nappes phréatiques où s'alimentent les puits.

     Malgré tout, le climat n'est pas celui des côtes – le soleil n'est pas celui de la plage à Santa Monica, mais plutôt celui du Nevada et de Las Vegas, qui vomit son argent et son stupre dans les lumières artificielles à 180 kilomètres de là. La Vallée de la Mort, dont le nom est tout un programme et qui n'est pas loin d'ici non plus, offre l'occasion de bronzages efficaces au milieu de plaines de sel asséchées et de sables multicolores révélés ici et là par la géologie. Ce désert parmi les plus chauds du monde, on peut s'en douter, était redouté des colons à la conquête du Grand Ouest en chariot, ces migrants en quête de terre promise au bord de l'océan, de vertes plaines au bord des rivières et des champs d'orangers. Tels sont les souvenirs d'histoire qui nous reviennent à mesure que nous écoutons Stevie Wonder sur les haut-parleurs du lecteur MP3 : « There's a place in the sun... where there's hope for everyone... » Notre voyage n'est-il pas un écho, certes un peu plus confortable, du leur ?

     Le désert californien nous offre encore des maisons, des hameaux à moitié abandonnés, des boîtes aux lettres plantées dans le sable, des spectacles silencieux mais pas muets. Voici des villages d'orpailleurs, où le désir de trouver l'or au fond des rivières incite les hommes à faire tourner ses soifs, ses rêves et quelques illusions plus ou moins maladives au fond d'un tamis. Le soleil semble jeter des étincelles dans ces rivières dont il n'a pas encore asséché le cours, à moins que je ne me souvienne en fait que des scintillements jetés par les yeux des chercheurs. Faut-il prévenir ces hommes que les filons d'Oatman sont maintenant épuisés ? Peut-être en puisent-ils les restes, disséminés entre les pierres et les grains de sable. Le désert californien a ses côtés surréalistes.

     Nous ne sommes pas les seuls à nous amuser des curiosités exposées dans les vitrines de ce désert. Le train, ce long serpent de conteneurs jaunes, rouges, bleus, y passe en suivant la 66, en la croisant parfois. Nous avons beau pousser sur le champignon, il arrive qu'il nous devance pour l'arrivée aux passages à niveau. Dans ces moments de défaite, il faut un peu de patience, et comme dans les nuits où l'on attend le train du sommeil, nous comptons les wagons pour remplacer les moutons. Au bout de 100 , la barrière se relève et nous pouvons passer. Nous reprenons une part de désert pour le goûter.




     Cette nouvelle part du gâteau californien est plus difficile à digérer puisqu'elle est volcanique. Ce ne sont pas des coulis de framboise, des fontaines de caramel sur les îles flottantes ou des rivières de crème anglaise sur les flancs d'un fondant au chocolat, mais un autre type de volcan, autrement plus chaud. L'Amboy crater a l'avantage d'être accessible à pied gratuitement -contrairement à celui de la météorite d'Arizona-, mais la promenade aurait été totalement déconseillée il y a quelques années, à en juger par tous les paquets de lave répandus aux alentours, pépites sombres sur la plaine déjà aride.

     Les derniers crachats de cette bouche noire dans le paysage vert-de-gris ont 500 ans, mais il me semble avoir entendu quelque part que la crainte d'une nouvelle éruption fut à l'origine de quelques déménagements par précaution, créant ainsi de nouveaux villages fantômes, de nouvelles maisons hantées, de nouvelles photos à prendre dans les road trips de juillet entre amis.





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