Saturday, July 19, 2014

Coming soon...

Chers amis, chers lecteurs,

Comme vous l'avez peut-être vu, je ne suis plus très actif ces derniers temps : je vous laisse au milieu de la route, au Texas, dans la tempête et le désespoir, avec des goûts d'apocalypse, des stupeurs et des tremblements. Vous devez penser que c'est bien cruel de ma part. Ca l'est, en quelque sorte, mais je ne vous oublie pas : ça n'est que partie remise. En effet, je suis en train de finir la rédaction de mon mémoire sur les couleurs dans la philosophie épicurienne, ce qui prend quelque temps. Une fois cela, fini, c'est-à-dire aux environs de septembre, nous pourrons reprendre la route, et nous rendre ensemble jusqu'à Los Angeles, en Californie, et au-delà peut-être si vous le voulez bien (mais vous le valez bien). Je vous remercie d'avoir autant consulté les quelques pages de ce blog, espère que vous en avez tiré du plaisir, et vous dis à bientôt, pour la suite de nos aventures.

Cheers,

Victorien


Wednesday, June 11, 2014

Texas (8) : Apocalypse now


Oui, quelque chose nous attendait, après Vega. Oh, bien plus que quelque chose.



Voilà comment seront les derniers jours de cette terre.



Noé se souvient de jours semblables il y a bien longtemps.



En ce temps-là, il allait se réfugier sous les stations-service.



Il voyait les gouttes, les plocs, les grêlons liquides faire éclater le sol devenu eau.



Il tremblait devant l'arrivée de nuages après les nuages et le voilement du ciel, 
dont il avait oublié la couleur.



Le Midpoint café : milieu géométrique de la route 66 et un jour peut-être de ce blog. 



Noé est parti se construire une arche. Nous, pendant ce temps, nous attendons d'être noyés dans un déluge de flots infinis, à l'abri (mais pour combien de temps?) d'une station-service abandonnée.



Le ciel s'effondre.



La nuit rattrape le jour dans le ciel.



Pas d'espoir.



Tout s'effondre, sauf notre toit, dont vous voyez le dessus en bas de l'image.



Terre désolée de la fin du monde.



Mais tout de même, ambiance nightclub. 



Zzzzz...

Le monde s'est endormi.


Friday, June 6, 2014

Texas (66-25) : Apocalypse now


Nous ne nous sommes pas trompés. La pluie, battante, est encore plus battante que tout à l’heure, quand nous entrions dans le saloon. Nous reprenons le chemin tracé par la route 66, comme quelques panneaux nous l’indiquent, et nous commençons à craindre un peu pour le soft top, le toit de toile de notre voiture décapotable. Qu’à cela ne tienne ! Il est bien solide ! Nous avons survécu, jusque là ! Le pneu crevé en Illinois, nous en avons bien ri ! La batterie plate de Carthage, de la rigolade ! Le risque de panne au fin fond de l’Oklahoma, magistralement évité ! Dans la pluie du Texas, pourquoi ne pas finalement continuer la Route avec un air confiant de Rien ne peut nous arriver.  

Bientôt, malgré l’assaut des gouttes, la violence de l’averse, le torrent des giboulées et la fulgurance de l’eau tombante, nous atteignons le point clé, pour notre itinéraire, du Midpoint Café. Comme son nom l’indique, ce café se trouve au milieu de la route 66. Peut-être vous dites-vous, assommés par la lecture de déjà tant de pages écrites sur notre périple américain : « Comment ? seulement le milieu ? il reste une seconde moitié ? » Nous étions bien impressionnés, nous aussi, de la grandeur de la Route, de la folie du trajet dans lequel nous nous étions lancés. A trois, avec seulement un conducteur et une voiture achetée à Chicago, certes pas si mal, mais un peu moins performante qu’une Lamborghini ou qu’une Mercedes, et de temps à autre un détail ou deux à réparer, avec un délai déterminé par le décollage de nos avions pour un retour en France sans droit à l’erreur ni autre moyen de rejoindre Los Angeles, et capables de nous entretuer dans la solitude et la folie du désert… et en même temps, bien que nous eussions déjà tant vu de lieux et de personnes, de climats et de nourritures, il restait autant de découvertes à faire de l’autre côté, de clichés auxquels rabattre le clapet, de rêves à réaliser, de fantasmes à actualiser, et puis, surtout, la radieuse Californie, l’Eldorado, la Terre Promise du road-tripper, le paradis du surf et, grâce aux sourires et à l’été d’un an, la ville du bonheur.

Le milieu, donc : déjà le milieu, seulement le milieu. Pour ajouter une remarque moins inutile à cette fastidieuse philosophie géométrique, on peut dire que les paysages de la route 66 se divisent en deux ensembles : jusqu’au Texas, c’est le vert qui domine, ce ne sont que forêts, champs, prairies, collines et vallons ; après Midpoint, voici du jaune, des déserts, des soleils, des plaines arides, des terres rouges et des végétations sèches.

La sécheresse : voilà celle que nous n’avions pas. Car en attendant que le vert se change doucement en jaune, c’est le noir, qui s’appropriait le ciel. La nuit tombait prématurément avec les nuages et la pluie qui se faisait de plus en plus terrible. Allez, un moment de doute : nous nous arrêtons auprès d’un motel, et nous interrogeons quelqu’un qui courait s’abriter : « Pensez-vous que ce ne soit qu’une averse ridicule comme on en trouve à Montélimar ? Pensez-vous qu’une tornade s’apprête à nous emmener dans le ciel noir ? Croyez-vous que ce soit la fin du monde, et, si oui, pensez-vous que nous puissions nous abriter quelque temps sous l’auvent de ce motel ? –Vous feriez mieux de ranger votre voiture, car la grêle va tomber ; et à ce moment-là, je ne donnerai pas cher de votre toit décapotable ; mais quittez ce motel, c’est une propriété Privée… »

Forts de ces conseils, nous rebroussons quelque peu chemin, le temps de retrouver l’une des innombrables stations-service abandonnées de la route 66, dont l’auvent pût nous abriter gratuitement : à l’endroit précis où les voyageurs avaient coutume de prendre l’essence pour repartir, nous prenions un abri pour y rester. Le ciel était toujours aussi nuit, le vent toujours aussi tempête, la pluie toujours et plus que jamais trombe.




En fait, ce fut une apocalypse texane : une apocalypse comme le Texas en produit, de temps en temps, tantôt tuant les gens, tantôt rasant des villes à coups de courants et de rafales, toujours causant la peur, toujours rappelant à l’homme sa petitesse. C’est là le lot de cet État malheureusement si riche en catastrophes naturelles, surtout pour l’Est et le Nord du pays que frappe assez volontiers le tonnerre : le Texas est l’État qui reçoit le plus de tornades dans les États-Unis, avec une moyenne de 139 par an – surtout en avril, mai, juin, mauvais moments pour s’y rendre en avion. L’ouragan de Galveston reste dans les annales comme la catastrophe naturelle la plus mortelle de toute l’histoire des États-Unis depuis qu’il a, en 1900, dévasté sa ville en arrachant quelque huit mille vies humaines à la surface de la terre ; on retient aussi les quatre cents morts de l’ouragan d’Indianola en 1875, et celui qui détruisit cette ville en 1886. Plus récents, Rita en 2005 ou Ike en 2008 restent des souvenirs funestes, sans compter les orages tropicaux, les Allison, les Claudette… Alors, ce jour-là de juillet 2012, peut-être allait-ce être là notre apocalypse, non le milieu mais la fin de la Route, un Enfer texan fermant le paradis du Missouri, la fin.

Les rayons du soleil, depuis longtemps, avaient été étouffés par le tumulte des nuages, qui étaient plus, bien plus et bien pires que des nuages. La dernière et seule lumière était celle, intermittente, des éclairs : ils fondaient sur les champs avec le cri grave et rauque du ciel quand il se brise dans les grandes catastrophes. Il n’était pas jusqu’aux sourds qui n’eussent entendu son grondement déchirant et sinistre, quand la chute brutale des foudres dans les instants qu’on croyait des répits fendait l’ombre nocturne des cumulo-, des apocalypto-nimbus monstrueux ; en laissant mourir en pluies (pour faire place à d’autres étoffes gazeuses d’obscurité) le gigantesque nébuleux coton noir où il se suffoquait de froid, le ciel pleurait au sens propre toutes les glaciales larmes de son corps en décomposition maladive : ce furent des cascades depuis les rochers des nues, des fuites gigantesques dans les réservoirs célestes, l’eau gazeuse qui s’effondrait brusquement en eau liquide sur le sol, au point de nous faire penser que l’étymologie du mot « torrentiel » est bel et bien « torrent-ciel. »

Voilà le concert, ou plutôt l’opéra wagnérien des agglomérats de nuages noirs, des notes graves comme n’en pourrait exprimer la plus grave note d’aucune gamme humaine, des arpèges lancinants sinistres de dysharmonies cruelles, des gémissements de barytons croisés d’orgues et de désaccordées contrebasses. Un nouvel Ancien Testament s’écrivait, et sur la face du Texas Yahvé faisait éclater sa plus noire colère.

En voyant les routes devenues des rivières (où ne s’aventuraient même plus les camions pourtant monstrueux, qui préféraient attendre d’improbables accalmies sur les bords de la chaussée), le dos décapotable de notre voiture frémissait du souvenir des massages inopportuns balancés par cette pluie battante, battante, battante, battante dont elle séchait à l’abri. Dans cette ambiance de boîte de nuit, sous les flashs des éclairs et les baffles du tonnerre, au lieu de danser la danse de la pluie, nous discutions ; nous refaisions le monde qui se défaisait sous nos yeux. Nous allions jusqu’à parler des souvenirs de notre vie française, ceux d’avant la fin du monde. Et puis, comment toutes les maisons de bois, les faibles granges que nous avions croisées dans les plaines du Texas faisaient-elles pour tenir sous les tornades qui hantent leur pays ? Où étaient les arcs-en-ciel hawaiiens ? les ciels bleus de Californie ? ou même les chaleurs désertiques de Las Vegas, qui ne sont pas rien ? …

La discussion finit en délire et en oubli. Je me souviens seulement que la tempête dura longtemps et que nous finîmes par repartir, dans la nuit, quand la pluie fut devenue un peu plus modérée. Le Nouveau Mexique n’était pas si loin, et nous dormîmes dans les premiers mètres de ce Land of Enchantment, dans notre premier Motel 6, comme ayant atteint un nouveau monde.



Wednesday, June 4, 2014

Texas (7) : Saloon


Un saloon, un vrai, et dans son vrai pays



Façade de bois, roue de diligence, petit auvent.



Son intérieur boisé et animal.



Une bonne vieille porte battante mène dans la partie steakhouse.



Oh! Sapristi ! Mais, nous venons de la croiser dans Vega !



Alors ça, c'est l'entrée des toilettes.



Le piano, bien sûr.



Le crachoir, évidemment.



Voilà, coyote, ce qu'est un saloon au Texas. 
C'est pas Hollywood, ici. 


Friday, May 30, 2014

Texas (66-24) : Las Vegas sans Las et sans S


Après Bushland, après Wildorado (promis je n’invente rien), Vega, la small Vega fait recommencer la petitesse au pays de la grandeur, de l’immense, du XXL made in USA. Le ciel qui fut si bleu se mouille un peu ; des gouttes d’eau tombent des nuages qui paraissaient si sages, si pacifiques ; les gouttes grossissent et se font plus nombreuses : elles qui tombaient par quelques-unes, c’est par bataillons, qu’elles se mettent à attaquer ; grosses comme des fourmis, leurs flic flac sont des FLIC FLAC. Mais après tout, ce n’est qu’une grosse averse, rien de bien méchant, rien en tout cas à quoi il ne suffise, puisqu’on est au Texas, de quelques instants dans un authentique saloon pour faire passer le temps, le mauvais temps qui tombe du ciel.

Une fois la voiture garée où l’on plaçait autrefois les chevaux, nous poussons la porte de bois de Boot Hill – cet établissement honnête devant lequel traînent encore un tonneau éventré et une roue de diligence du siècle avant-dernier. Dans la salle, de petites tables rondes où des gens jouent aux cartes, ou boivent un verre en discutant du mauvais temps – et, face à nous, huit cow-boys gros en chapeau et en barbe installés au comptoir se retournent en même temps sans un mot, pour voir quels trois blancs-becs viennent se joindre à leur boisson. Nous avons l’impression que nous venons d’entrer dans un film, mais tout n’est pas en noir et blanc. Tout est en bois, y compris le piano et le grincement des portes battantes (oui, celles qui reviennent sur vous si vous allez trop lentement, coyotes). La tapisserie rouge couvre les portions de mur que le miroir du comptoir ou les planches nues mal dégrossies ne recouvrent pas. Quelques têtes de cerfs ou de taureaux, empaillées, à côté des lanternes qui pendent à un morceau de métal. Je ne serais qu’à moitié étonné si un jour j’apprenais que Chuck Norris a ici ses habitudes ; nous, timidement, nous nous installons à un coin du comptoir, entre le piano et le crachoir. Sous la grande et élégante glace luky-lukéenne de derrière ce comptoir arrive alors une jeune serveuse qui, évidemment, est jolie, et fait tout mince à côté des habitués du lieu.

Dans ce monde de bières, les blancs-becs commandent pourtant une lemonade. Plaidoyer pour le chauffeur, he doesn’t drink and drive; mais ces trois jeunes font tache, parmi les Végasiens. Les conversations qui se tiennent au comptoir posent un peu le ton du lieu : ce sont des rires de voix rauques (celles qui passent à travers les poils d’une barbe mal taillée ou d’une moustache épaisse), de minces fumées de cigarettes encore autorisées dans les lieux publics (eh, c’est un saloon tout de même) et un accent à couper au revolver, un accent texan très marqué à reflets rustiques, c’est-à-dire de mots à demi avalés. Les moustaches prennent des formes plus variées que dans les États où nous en avions croisé : alors qu’au Midwest, c’était plutôt dans la barbe que s’exprimait la personnalité, elle se comprend ici beaucoup dans la moustache. Vous avez certes cette grosse moustache broussailleuse, pour le Texas des ranchs, mais n’oubliez pas non plus la moustache aux bouts plus fins, recourbés, pour les Texans des villes. Car à Vega, l’élégance se dit aussi dans le langage des poils.

Quand la pluie s’est calmée, nous descendons dans downtown Vega. Sur la vieille place du village où tout n’est que bois et couleurs, règne un silence de western en train de se faire. Les petites façades sont alignées, et reliées par leur auvent qui dessine une promenade ; sous cette promenade s’abritent quelques bancs et fauteuils à bascule, vides. Tiens, un tracteur passe en remorquant une machine agricole presque aussi grosse que lui. Les silos immenses dépassent du paysage comme des immeubles : ce sont les tours de la campagnes. Un autre dépasse : tout jaune, en forme de bonbonne, c’est le réservoir d’eau de la ville ; comme celui d’Atlanta dans l’Illinois, il ressemble à un ballon de baudruche gonflé, mais cette fois sans sourire dessiné sur le ventre. Un vieil arrêt de bus (en bois !), une vieille station-service ; des granges, un quincaillier ; un motel, une maison de trappeur ; l’étoile du Texas en métal rouillé, la table des Dix Commandements au milieu du square : voilà Vega, pleine d’Amérique ancienne et de Texas très fidèle à soi-même.




Mais c’est alors que le ciel se remet à pleuvoir.

Suffit-il, pour cela, de s’abriter sous le kiosque au milieu de l’herbe ?  Peut-on se contenter d’attendre quelques minutes que l’intempérie soit dissoute ? Un arc-en-ciel s’apprête-t-il à chasser les nuages ?


Ces nuages sont de plus en plus gros, et proviennent d’un fond gris, d’un horizon gris sombre : allons plutôt à la voiture.


Wednesday, May 28, 2014

Texas (6) : Vega


Noooooooooooon, pas Las Vegas, VEGA. Las Vegas ce sera plus loin sur la route.



Le square central, devant le tribunal.



Bâtiments qui donnent sur la place principale.



Autre côté de la place centrale, 
avec à l'arrière-plan le réservoir en forme d'épi de maïs.



Moyens de transports à Vega. 
Vous voyez, que ce n'est pas Las Vegas.



Les dix commandements gravés sur la place du village. Normal. 



Pour mémoire, je zoome un peu.



Silo derrière bâtisse de trappeur.



Les panneaux qui font croire que la 66 est encore touristique. 



Ah, le réservoir maïs, le voilà.



Vega sous ses nuages.



L'agriculture tremble devant les intempéries du Texas, 
si sévères avec elle comme avec tout le monde.



Agriculture.



Vieille station-service.



Cour.



Peut-être que si vous attendez un siècle, le bus finira par arriver.



Le ciel fronce peu à peu ses nuages : va-t-il se passer quelque chose ?



L'étoile du Texas (non, pas du Vietnam).



Une de ces cours de quincaillers pleines de bric et de broc et de brac.




 

Le Vega motel. Youpi. Grand confort.



Vega vous dit au revoir par une grange.


Friday, May 23, 2014

Texas (66-23) : Amarillo, quand tu nous tiens


             Plaines, ranchs, canyons : voilà ce qui suit Mc Lean en direction d’Amarillo, prochaine grande ville sur le chemin. Derrière la vitre, champs de maïs, qui donneraient du pop corn pour tous les cinémas de Los Angeles (je pèse mes mots) ; machines agricoles immenses, avec des bras de métal assez grands pour arroser la terre entière ; champs d’éoliennes, dont les pales dansent leur danse ronde et électrique pour faire oublier que le Texas est l’État des États-Unis qui émet le plus de gaz à effets de serre (oh, 680 milliards de kilos par an) et, s’il était un pays indépendant, le septième au monde ; ceci est une conséquence des usines au charbon du sud de l’État, et de ses industries manufacturières, et de ses camions énormes, et du bas prix de l’essence, bouh les méchants Américains. 




Quand ce ne sont pas ces champs d’électricité ou de maïs, ce sont bien sûr les ranchs, dont chacun a sa vallée, et dont je ne cesse de vous parler sans vous les décrire vraiment. On devine, derrière les barrières de métal rouillé (il paraît qu’elles furent peintes, un jour, mais je n’y crois guère !) et les fils barbelés, ces prairies immenses où courent les maigres canyons pour craqueler le sol de la végétation sèche ; mais si vous les suivez, ces barrières, vous trouverez peut-être leur entrée, leur porche surmonté de crâne de bêtes à cornes ayant fini en steak ou en meatballs. C’est vers là que mènent en fait, de nos jours, les frontage roads : on a gardé la vieille 66 pour pouvoir entrer dans les ranchs sans prendre une sortie d’autoroute, sans avoir à partager la chaussée avec les camionnissimes qui sillonnent de manière ininterrompue le freeway.

Ces porches de ranchs aux trophées cornus s’ouvrent sur des pistes de terre ; celles-ci mènent à l’entrée des ranchs proprement dits ; elles conduisent le fermier à sa maison de bois en haut de la colline. Ces maisons de bois, ces bâtisses ont leurs planches de peinture décrépite, n’est-ce pas charmant et pittoresque. Leur colline est à peu près la seule du terrain ; elle permet, par la fenêtre à guillotine (aïe !), d’embrasser d’un seul regard ses vaches et son héritage terrien. L’éleveur de bêtes frotte alors la moustache qui pousse sous son chapeau de western ; il tire sur la pipe qui souffle un filet de fumée dans sa demeure, pleine d’odeurs du sud des États-Unis, d’années en 1860 et de musique country arpégée sur une guitare un soir plein d’étoiles. Il est plein de la mélancolie lonesome cow-boy de son époque passée qui est ici encore présente.

Mais nous, sans nous arrêter, nous continuons de suivre le frontage road qui nous épargne les monstres, ces camions du freeway. Au Texas comme ailleurs aux States, ils ont deux grands pots d’échappement sur la tête, comme deux grandes oreilles, ou plutôt comme deux grandes cornes, et ce ne sont pas celles de Moïse ; leurs phares sont autant d’yeux sur leur face et le radiateur leur est un museau démesuré. Vous n’avez pas entendu leur grognement, ni senti leur haleine de fumée. Dans un accident, ils seraient impitoyables pour la Twingo qu’ils ne rencontreront heureusement jamais, ou même pour de nombreuses autres voitures. Même si les voies sont bien plus larges qu’en Europe et que, du coup, on n’est jamais déporté par les appels d’air, il est bien agréable de contempler ces camions de loin, de côté, ou même de ne pas les contempler du tout.

Tout le long du chemin, les poteaux de bois tendent leurs bras pour porter le chemin de la fée (électricité). Ils se succèdent, debout, jusqu’au fond de l’étendue immense des ranchs et des champs, c’est-à-dire à perte de vue. Ils dessinent dans un quasi désert (aux grains de maïs près) des parcours défiant les road-trippers qui les aperçoivent, pensifs.

Les nuages du Texas, au-dessus, clairs comme le bleu du ciel, pénétrés de lumière, sont non seulement fidèles au beau temps de l’été, mais ont aussi, clin d’œil de la météo, la forme des chapeaux que portent ici les hommes.

            Au milieu des champs, qu’on pourrait croire monotones et dénués de tout surréalisme, apparaît soudain une croix, blanche, plus haute que la statue de la Liberté sans son socle : c’est la fameuse croix de Groom, ce village de moins de 600 habitants. Elle fut érigée en 1995 et comprend 19 étages, parce que « tout est possible pour ceux qui croient. » Cependant, je n’ai pas réussi à savoir de quelle église elle dépendait, si tant est qu’elle en dépend d’une.

De loin, de moins en moins loin, nous apercevons une agglomération, qui semble grande, étendue, industrielle – « the yellow rose of Texas, » comme chanta Gene Autry et comme le nom d’Amarillo l’indique en espagnol. C’est vers elle que va la Route et c’est la Route, sans doute, qui fit aussi sa fortune et lui permit de se développer. Voici nos premiers lieux industriels du Texas, quoique le Nord de l’État le soit moins, bien moins que le Sud. Quelques silos gigantesques indiquent que c’est Amarillo qui pompe toute l’agriculture de la région. Le petit aéroport de la ville nous impose un contournement qui retarde notre immersion dans le béton, les briques, les fumées et les camions. Non loin, le fameux Cadillac ranch : en 1974, Chip Lord, Hudson Marquez et Doug Michels plantèrent 10 Cadillac des années 50 et 60 le nez dans le sol, avec l’inclination de la pyramide de Kheops. Les voitures sont toujours là, et les passants sont encouragés à les taguer, à les colorer, à peindre leurs graffiti en toutes couleurs. 

Nous n’avons pas pris de photos d’Amarillo. Le centre-ville (le downtown) ne paraissait pas si fourni en buildings que celui de Tulsa. Amarillo semble étendu, mais aussi plat. Nous n’avons pas saisi d’autre intérêt que d’y pomper un peu d’essence pour notre Chrysler, qui faisait pâle figure à côté des trucks (ah si, justement, une photo : un truck monumental, avec des roues de tracteur, des suspensions de 4X4 XXXL, et une échelle nécessaire pour monter jusqu’à la portière, sponsorisé par les Bulls et la Budweiser : de quoi franchir les moindres et les pas moindres fissures de terrain, et prendre deux places à la fois sur les parkings). Notre Route traverse une ville où les usines, les ateliers, les entreprises cachent de leur grisaille et de leur étendue les quelques quartiers sympathiques de la ville, auxquels il est du reste difficile de croire ; tout est un quadrillage parfait de rues ; la 66 est le seul reste intéressant de cette agglomération caractérisée aussi par ses mauvaises odeurs (s’il est vrai qu’elle est bien mauvaise, l’odeur des pots d’échappement, de l’engrais et d’autres produits dont la nature est plus difficile à déterminer). Au milieu de ce mélange de gris et de noir, un tronçon de la Route a été conservé où nous aurions peut-être dû nous arrêter : bordé de vieux cafés et motels du milieu du siècle passé, tout de bois colorés, aux formes de western, couverts de vieilles enseignes électriques boutonneuses de dizaines d’ampoules clignotantes ; cette rue traverse les années 50 pour arriver aux 60’s – on s’y croirait en Cadillac. Mais c’est vers la petite Vega, un brin plus mystérieuse, que nous mènent les tours de roues de Denise.



Wednesday, May 21, 2014

Texas (5) : Plaines, ranchs, canyons


Paysages du Texas du Nord.



Sommeil des nuages hors du ciel. Quand reviendront-ils, ces paresseux ?



Le Texas est beaucoup plus vert qu'on ne le croit; c'est parce qu'on l'associe trop souvent aux paysages de cow-boys pris en Californie ou en Arizona.



Le frontage road s'enfonce dans le creux des demi-vallons.



Ces silos énormes contiennent des plaines entières de blé et de maïs.



Un building de maïs. 



La fameuse croix au milieu des champs. 
Plus haute que la statue de la liberté ! (sans le socle)



Voilà le genre de véhicules que conduisent les Texans. 



Oh, le ciel se couvre.



Vers quelles intempéries la Route nous mène-t-elle ?...


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