Thursday, December 26, 2013

Chez les Simpsons (66-10)


D’ailleurs, on arrive vite (enfin, vite…) dans le Central Illinois, que les gens se plaisent à appeler de manière peu originale le Cœur de l’État, existant sur son tapis de prairie toujours pas interrompu, et abritant le séduisant Atlanta (non, pas la ville de Géorgie). Ce village, entre les champs de maïs, à l’ombre des silos, traversé par un petit chemin de fer où le train passe remplir un ou deux wagons à marchandises, a son centre-ville de deux blocks de largeur, deux blocks de longueur.

Puisque la 66 le traverse, les boutiques s’en sont fait un thème pour décorer les vitrines, les commerces y trouvent un nom pour attirer le client qui depuis longtemps n’est plus issu du tourisme, et de l’inspiration pour quelques fresques murales. Comme les Américains ne suivent plus la route 66 de bout en bout, puisque les habitants des villages y sont comme indifférents et seraient souvent les derniers à l’avoir explorée, cette thématique, ces enseignes sont bel et bien celles d’un tourisme sans touristes.

Quelques panneaux 66 peints sont accrochés dans un petit square historique. Les bâtiments de ce centre, qui nous rappellent par leurs formes, par leurs auvents de bois ceux des westerns, évoquent aussi les maisons de brique en Beauce construites à la fin du XIXe siècle et toujours présentes, au milieu de moins d’habitants et de toujours autant de verdure ou de champs. On y déjeune dans un bar (le seul du village, qui de l’extérieur semble abandonné) avec la nourriture de base américaine, un blanc de poulet coincé entre les pains d’un hamburger dans un nid de French fries biscornues, qui n’ont rien de français, et une marelle de ketchup, il existe ici aussi. Résistera-t-on, ensuite, à la curiosité de se promener là où les gens habitent, entre les grandes maisons de bois peintes, blanches, bleues, avec leurs terrasses et leurs rockin’ chairs – pas leurs chaises à bascule, leurs rockin’ chairs ! Tout est calme, les habitants qui passent vous disent bonjour même sans vous connaître (on est bien loin de Chicago), on est au centre géométrique de l’Illinois, dans un village de 3 km2, moins de 1700 habitants dont 1,638 blancs, cinq blacks, six asiatiques, deux indiens et quinze métisses ! 

Puis, ce sont des champs, d’autres villages, où le bois grince quand on traverse le centre-ville, où l’on a parfois oublié de séparer le trottoir de la route entre les maisons, comme si tout était piéton. Ce sont de petites granges rouges qu’on aperçoit. C’est une station-service où l’on vérifie la pression du pneu que nous venons de changer à Normal pour préserver notre roue de secours, et où une jeune fille ridicule souhaite nettoyer notre voiture en maillot de bain (bizarre, quand même). Et puis c’est Springfield.

Springfield ! La ville des Simpsons ! En fait, vous le devinez, Sprinfield est le nom d’à peu près toutes les villes lambda des États-Unis, ce qui explique pourquoi Matt Groening le choisit pour nommer celle où habitent ses personnages, Américains moyens s’il en est, les Homer, les Marge, les Bart et même les Lisa. En attendant, Springfield est la capitale de l’État, et son Capitole, jugez un peu l’audace, est plus haut que celui de Washington. Vous pourrez peut-être y admirer la maison de Lincoln, la tombe de Lincoln, la bibliothèque de Lincoln, et enfin la statue de Lincoln, qui vous regardera de ses trente pieds de haut, alors que vous n’en faites probablement pas plus de six, ou sept si vous êtes basketteur.

Plus discret mais peut-être plus charmant, on trouve en suivant l’itinéraire au milieu des vallons une petite route pavée en briques, joli segment de la 66, plus joli par exemple que les plaques de béton que nous allions traverser dans l’Oklahoma, et poussant déjà l’Illinois vers la bucolique midwesternienne du Missouri. 

Fuyant les trop grandes villes (mais Springfield n’était pas trop grande, cependant), on va se reposer dans l’herbe de la place publique du village de Virden, place carrée que bordent de jolies maisons, de jolies boutiques aux architectures rappelant toujours les westerns, dans leurs façades marron pâle ou bleu pâle, leurs semblants de frises, leur raideur naïve, la rondeur régulièrement répétée des petits ponts de leurs chambranles. Un petit kiosque à musique de bois blanc, un monument commémoratif pour les morts du pays, des fresques rappelant ce que fut la route 66 sur certains murs latéraux, le calme d’une après-midi de campagne, la douceur d’un repos avant la reprise du volant par les mains et le cerveau. 

Un vieux totem, sous forme d’une station-service, salue le voyageur à la sortie du bourg de Virden.  Il est fait de souvenirs, d’épaves échoués aux rivages du temps : quelques voitures du temps où il n’y en avait pas beaucoup, évidemment rouillées ; des animaux peints aux couleurs du drapeau américain, rappelant le caractère à la fois sauvage et patriote de l’Amérique profonde ; des Betty Boop peintes sur les murs et de vieux panneaux 66 restaurés ; des publicités des années 60, des pompes à essence des années 40, avec encore les prix d’avant les chocs pétroliers et les inflations généralisées ; les Texaco, les Shell, les Phillipps 66 décolorés ; des roues de carrioles et les silhouettes de cow-girls sous les reproductions de voitures anciennes ; un mélange d’Amérique historique et de séduction touristique, un peu amusant, un peu too much, artificiellement reconstitué, mais qu’à cela ne tienne. 

Nous voilà arrivés au Sud de l’Illinois, qui fut appelé en son temps Little Egypt, et qui abrita la première capitale de l’État, Kaskaskia (qu’est-ce qui y’a, vous trouvez que c’est un nom bizarre ?). Plusieurs hivers terribles se succédèrent dans les années 1830 de l’État, dont celui de 1830-31, « winter of the deep snow, » qui noya de nombreux voyageurs dans des tempêtes de neige, ou ceux qui, comme le « winter of the sudden freeze, » massacrèrent littéralement les possibilités de s’alimenter des fruits de la terre, et requirent qu’on fît acheminer d’énormes quantités de nourriture depuis le Sud de l’État, un peu comme Joseph, qui, dans la Bible, fit envoyer d’Égypte de grandes portions de grains pour ses frères. Alors, ne vous étonnez pas si une ville du Sud s’appelle Cairo ! (En toute rigueur, elle se situe sur le territoire du Missouri.) Ce sont toujours, dans les paysages et les patelins traversés, de vieux reflets de poésie américaine tels que ceux qu’on entend dans les chansons de Johnny Cash (réécoutez le vrai Johnny, maintenant), des paysages de western attardé.

Sait-on ici si Internet existe ? Qu’un président noir a été élu ? Que des pays du monde (mais qu’est-ce que c’est, le reste du monde ?) ne sont pas des États des États-Unis ? et qu’on n’y pratique pas seulement l’agriculture ?  Mets un peu de charbon dans la locomotive, car le Nord a besoin du blé.

Pontiac, Lexington, Normal, Atlanta, Lincoln, Springfield, Virden, au milieu de nombreux villages ayant à peine un nom et ne figurant plus sur les cartes, le vert bouteille aux formes diverses dont on ne se lasse pas…

Puis Saint-Louis, les portes du Missouri. Une banlieue que l’on affronte, où l’on se plonge, dans la nuit qui a fini par tomber, pour trouver un motel. Incroyable d’avoir trouvé de nouveau une agglomération. On pensait, alors, que ça n’existait plus. Les rues bordées des enseignes lumineuses des fast-foods et des stations-service nous saluent, désertes de piétons. Un motel pour la nuit, pour le soir, les jeux de cartes après avoir pensé à la journée, la douche nécessaire à cause de la chaleur de l’atmosphère, et la télévision, juste pour les infos.




J’ose encore penser à la Californie (j’y penserai encore un peu avant d’en rêver), lointaine dans le temps, maintenant, et qui a si peu à voir avec ce que nous avons parcouru. C’est une autre Amérique. On oublie souvent que les États-Unis sont quasiment un continent, et que Philadelphie ressemble aussi peu à Santa Barbara que la Côte d’Azur ressemble à la Norvège. Ici, la pluie existe. Pas de désert. Des plaines. Les habitants sont plus méchants à Chicago, plus rustiques dans l’Illinois. La route est vieille, les villages petits. Tout est vide, il n’y a rien, et l’on va pourtant de découverte en découverte. 




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